C’est sur une invitation de l’Union des Comités Ecologiques de la vallée de Mininky (UCEM), une organisation paysanne basée à Koungheul, que nous avons eu l’honneur d’animer le panel n°1 dont le thème est : « Quelles stratégies pour sauvegarder les semences paysannes face au phénomène de changement climatique ? ».
L’animation de ce panel s’inscrit dans l’initiative de l’UCEM qui a consisté à organiser du 05 au 07 février 2013, sa toute première édition de la Foire des semences paysannes, où nous avons également exposé dans un stand prévu pour l’URPROFOS des échantillons de semences de fonio cultivés à Sédhiou et, distribué des livrets de recettes culinaires à base de fonio de l’URPROFOS.
L’animation du panel s’est articulée sur quatre (04) points principaux qui ont été partagés dans l’ordre suivant:
- Les niveaux de perception du concept de changement climatique
- Le recueil des attentes des participants au panel par rapport au thème
- Les stratégies d’adaptation pour sauvegarder les semences paysannes
- L’expérience de l’URPROFOS pour la sauvegarde des semences paysannes.
1. Les niveaux de perception du concept de changement climatique
Après avoir rappelé que ces dernières années, le changement climatique a dominé l’agenda international et marqué l’opinion politique, nous avons abordé la question des changements climatiques sous plusieurs angles :
Du point de vue historique, les données allant depuis la dernière glaciation à nos jours, ont permis de révéler que l’histoire climatique et écologique du Sahel a été jalonnée de changements plus ou moins marquants. Les repères temporels d’il ya 18 000 ans, puis d’il y’a 8000 ans, et d’il y’a 2000 ans à aujourd’hui ont permis de décrire les caractéristiques dominantes de cet environnement sahélien.
Les quelques décennies de sécheresse constatées depuis quelques temps auxquelles s’ajoutent des catastrophes hydro climatiques génèrent et entretiennent aujourd’hui une controverse : Selon certains, les conditions climatiques et écologiques actuelles sont les résultats « d’une modification climatique » ; D’autres par contre soutiennent qu’il s’agit « d’une anomalie inhabituellement longue dans le cours d’une fluctuation naturelle ».
Du point de vue paysan, l’appréciation globale de l’évolution du climat par les paysans et par les paysannes reste diverse et variée. Ainsi, les changements de l’environnement physique et biologique observés par les populations se situent pendant les grandes sécheresses de 1973-74 et de 1983-84 qui ont particulièrement marqué et ébranlé les systèmes agraires et les écosystèmes : des orages violents, l’irrégularité des pluies, les sécheresses récurrentes, la perturbation dans la durée des différentes saisons de l’année, les périodes de semis, la disparition des points d’eau temporaires, la dégradation des ressources végétales, la disparition progressive de la biodiversité, la baisse des rendements, la modification du système fourrager, les changements sensibles de la physionomie des paysages, la disparition de la faune, la paupérisation des ménages, l’effritement de la solidarité et du tissu social, la perte de confiance et la méfiance réciproque intra et inter communautés, etc.
Du point de vue institutionnel, l’impact du changement climatique est de plus en plus souvent considéré comme une nouvelle menace pour la sécurité et le développement. En particulier au Sahel où après des décennies au cours desquelles l’innovation technologique, l’ingéniosité et l’adaptabilité ont permis aux hommes de surmonter les cycles de pénurie, les effets du changement climatique posent aujourd’hui de nouvelles formes de menaces.
Ces menaces sont susceptibles d’avoir des répercussions négatives sur la croissance et le développement durable. Le continent africain apparaît comme « l’un des plus vulnérables au changement et à la variabilité climatiques ; cette situation s’exacerbant sous l’effet d’une faible capacité d’adaptation des Etats et d’une forte interaction entre de multiples pressions exercées à différents niveaux » (Plateforme intergouvernementale dur le Changement Climatique, PCC, 2007). Ce qui a conduit nos Etats à prendre sérieusement en compte cette nouvelle menace en élaborant respectivement des PANAs ou Plan d’Action National pour l’Adaptation aux changements climatiques.
Du point de vue scientifique et pratique, le phénomène des changements climatiques a été abordé dans le contexte Sahélien et sénégalais en particulier par les déterminants que sont la Pluviométrie, les Températures, le Vent.
La définition proposée à l’auditoire est celle extraite de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements climatiques qui est la suivante : On entend par « changements climatiques » des changements du climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours des périodes comparables ;
En tout état de cause, l’idée retenue par les participants au panel est la suivante : si le phénomène de changement climatique n’est pas un paradigme au même titre que celui de « civilisation » ou encore de « développement », alors, ce sont les sociétés industrielles qui polluent les composantes atmosphériques et hydriques du climat, tandis que les sociétés sous-développées l’exposent à la désertification, conséquence d’une exploitation minière des sols et de la flore.
Face à ce résultat commun, obtenu par des moyens différents, mais aux impacts globaux, la problématique des changements climatiques devient véritablement une bioéthique universelle car les pauvres comme les riches seront finalement à la même enseigne.
2. Le recueil des attentes des participants au panel par rapport au thème
Les attentes des participants peuvent être résumées comme suit :
- Comment le paysan sénégalais peut-il accéder à des semences traditionnelles de qualité et à bons rendement ?
- Comment les paysans doivent procéder pour avoir des semences résistantes aux maladies et au stress hydrique ?
- Comment régler le problème de la conservation des semences paysannes ?
3. Les stratégies d’adaptation pour sauvegarder les semences paysannes
Il ressort du panel qu’il n’y a aucun détour pour sauvegarder les semences paysannes si ce n’est le retour au système traditionnel de connaissances locales.
Avec du recul, l’on s’aperçoit que les approches respectivement technicienne et économique appliquées depuis quelques décennies n’ont pas suffisamment pris en compte le système traditionnel de connaissances locales.
En effet, malgré le développement technique et scientifique, le système traditionnel des connaissances empiriques est un élément essentiel de la gestion des ressources naturelles et des changements climatiques. L’assertion est d’autant plus vraie que l’application stéréotypée des connaissances scientifiques, notamment à travers différents projets de développement, a plus abouti à des échecs qu’à une maîtrise des changements climatiques.
Pour une large part, ces échecs viennent d’une « ignorance » scientifique du milieu paysan et d’un préjugé défavorable sur les connaissances locales et de leur rejet qui en a résulté.
Aujourd’hui l’idée s’impose que les paysans connaissent parfaitement leur environnement et ses ressources. Et le système de connaissances constitué, exploité et enrichi au fil du temps et de l’expérience des changements climatiques, mérite d’être décrypté dans ses différents éléments pour être mieux utilisé, valorisé.
Le phénomène des changements climatiques peut dès lors être perçu dans le contexte sénégalais comme le lieu de la manifestation de l’intelligence humaine pour la maîtrise des ressources naturelles et de l’environnement que cette intelligence tente de mieux connaître à cette fin.
Aussi, il est ressorti du panel, des stratégies de sauvegarde des semences paysannes basées à la fois :
- sur les connaissances traditionnelles locales,
- sur un retour à une agriculture naturelle,
- et enfin sur un système semencier participatif qui part « d’en bas » (des producteurs) et non qui « vient d’en haut » (de la recherche).
Ensuite, il a été passé en revue à travers un autre tour de table des productrices et producteurs présents au panel, une description de pratiques traditionnelles de sauvegarde des semences paysannes résumées comme suit :
- Le choix de la période du mois lunaire où il faut récolter la partie du champs qui sera conserver comme semence pour l’année suivante,
- Les méthodes traditionnelles de construction de grenier pour abriter les semences,
- L’intégration de l’élevage et l’agriculture pour une meilleure valorisation des résidus des récoltes et des fécès des animaux d’élevage,
- Les pratiques traditionnelles de lutte contre les termitières au champ et contre le striga,
- Les pratiques d’entretien, de réintégration et/ou de régénération des arbres dans les champs de culture (agroforesterie),
- Ne pas brûler les résidus de récolte au champ, mais les laisser se décomposer naturellement jusqu’à la prochaine campagne de production agricole,
- Le retour aux pratiques de respect et soins particuliers requis, traditionnellement accordées aux semences traditionnelles, etc.
4. Etude de cas : Le processus de mise en place de la Banque de semences de fonio au niveau de
l’URPROFOS dans la région de Sédhiou
A suite de notre expérience Ouest-africaine de la filière fonio (Koussanar, Kédougou, Mali, Burkina Faso, Togo), l’opportunité nous a été offerte d’être recrutée à partir du Burkina Faso le 18 octobre 2010 par l’ONG Belge VECO WA – Bureau de Dakar, pour rentrer au bercail et coordonner le développement institutionnel de l’URPROFOS dans la région de Sédhiou en Moyenne Casamance. L’URPROFOS fût créée le 24 septembre 2010 pour fédérer les efforts des 15 GIE de productrices et producteurs de fonio fondatrices dans le cadre de la chaîne de valeur autour du fonio.
Au niveau de cette union, notre première campagne « expérimentale » 2011 a permis d’observer, et analyser les pratiques paysannes pour en comprendre les déterminants et les logiques qui ont sous-tendus son déroulement (leçons et enseignements tirés des précédentes campagnes).
Aussi, partant de l’impératif de l’autonomisation de l’organisation paysanne avec tout ce que cela comporte, a émergé l’impérieuse nécessité d’une autonomie semencière paysanne pour le développement de la chaîne de valeur fonio.
La présente expérience pour un système semencier participatif au service des productrices et producteurs familiaux de fonio s’inspire d’un document de réflexion élaboré par le coordinateur de l’URPROFOS, M. Cheikh Guèye intitulé « Pour un système semencier participatif au service des productrices de producteurs familiaux de fonio ».
C’est ainsi que la campagne expérimentale 2011 a été marquée entre autres, par l’identification des bases techniques et méthodologiques mais aussi institutionnelles de mise en place d’une banque de semences paysannes locales.
· Au plan institutionnel :L’URPROFOS a un statut d’association donc à but non lucratif. Elle a créé l’UT Fonio-Sédhiou en tant qu’entreprise donc à but lucratif ayant pour vocation de servir de bras financier de l’union.
L’UT Fonio-Sédhiou a été agréé comme opérateur semencier par l’autorité compétente (Ministère de l’Agriculture). Les contours du projet de banque de semences paysannes a également exposé et partagé avec la recherche à l’occasion de réunion de programmation scientifique annuelle du CRZ/ISRA de Kolda de 2011 et 2012 pour solliciter leur participation et leur facilitation voire leur accompagnement;
· Au plan technique et méthodologique :C’est au cours des ateliers de lancement de chaque campagne de production de fonio que les préoccupations de la banque de semences et celles des productrices et producteurs sont partagées pour définir de manière concertée le choix des variétés à cultiver, le choix des multiplicateurs semenciers, la mise en place du système de suivi et contrôle interne des parcelles des producteurs et des multiplicateurs semenciers ;
Même si le choix de la majorité des productrices et producteurs de l’union porte sur la « Dibbon », nous avons identifié au total trois (03) principaux cultivars de fonio dans la région à dire d’expert c'est-à-dire des paysannes et paysans de la région : « Momo » (précoce de 2,5 mois), « Dibbon » (intermédiaire de 3 mois) et « Findiba » (tardif de 4 mois).
Un cahier de charge est en cours de préparation avec le réseau des multiplicateurs semenciers, ainsi que les outils de gestion de la banque de semences paysanne.
L’expérience suit son cours ……
Cheikh GUEYE
Coordinateur URPROFOS
Secrétaire Général APF Fonio-Sénégal
Mails : ctgnna@gmail.com ctgnna@hotmail.com cheikh72003@yahoo.fr
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